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Ce dimanche, ils sont une cinquantaine, assis en
rond sur des chaises pliantes, dans une salle anonyme du XIXe arrondissement
de Paris. Etudiants, mères de famille, chômeurs, retraités,
médecins, enseignants.
Leur point commun: ils souffrent tous
d'une maladie du comportement baptisée "trouble
de déficit
d'attention avec hyperactivité" (TDAH), c'est-à-dire
la version adulte du fameux syndrome pour lequel des millions d'écoliers
américains sont traités avec un médicament à base
d'amphétamines, la Ritaline.
Les patients, qui se sont baptisés
les "hyper-super-adultes", ont décidé de fonder
une association pour plaider leur cause. C'est leur première
réunion.
Phénomène social ou véritable
handicap ?
Le syndrome
TDAH des adultes paraît aujourd'hui aussi controversé que
sa version infantile et pose le problème de savoir à partir
de quel stade un comportement ou un trait de caractère peuvent être
assimilés à une maladie et traités avec des psychotropes.
Répertorié dans le DSM (manuel de diagnostic qui répertorie
les troubles mentaux, utilisé par les praticiens du monde entier),
le syndrome TDAH ne concernait au départ que les enfants, mais
sa définition a été étendue aux adultes en
1997.
Il se caractérise en gros par un comportement agité,
de l'impulsivité et une incapacité à se concentrer.
Les experts l'attribuent à un déséquilibre neurologique,
probablement d'origine génétique et donc fortement héréditaire.
Des études américaines affirment que cette affection mentale
touche entre 3 et 7% de la population de tout âge dans le monde
entier, chiffres qui, transposés en France, pourraient représenter
jusqu'à 2 millions de personnes.
C'est cette minorité silencieuse que cherche à fédérer
le nouveau club de patients, créé sous l'égide d'une
association regroupant depuis deux ans des familles d'enfants hyperactifs,
TDAH-France.
"On va enfin exister au grand jour", se réjouit
Pascal Faure, 41 ans, responsable du département adulte. Cet informaticien
célibataire, qui s'avoue lui-même très instable - "Je
ne tiens pas en place, je change de job tous les deux ans, je n'arrive
pas à avoir de relation suivie avec les femmes" - veut favoriser
la prise en charge des victimes du syndrome et l'accès aux thérapies,
qu'elles soient psychologiques ou médicamenteuses, comme la Ritaline.
Répertoriée au tableau des stupéfiants, celle-ci
ne peut être prescrite en France que dans le cadre hospitalier,
contrairement aux Etats-Unis ou à d'autres pays d'Europe, comme
la Suisse, les Pays-Bas, l'Allemagne, où les psychiatres sont
plus sensibilisés à ce trouble et à ses traitements.
Le président donne la parole à l'assistance. Chacun se
présente et raconte brièvement son parcours, comme dans
une réunion des Alcooliques anonymes. Fabrice, 41 ans, a découvert
la maladie à travers son fils de 12 ans, diagnostiqué hyperactif
par un pédopsychiatre et traité depuis deux ans aux psychotropes. "Je
me suis revu enfant, j'avais les mêmes problèmes en classe,
rejeté par les autres, mal dans ma peau. Heureusement, je m'en
suis bien sorti, j'ai trouvé un boulot qui bouge beaucoup - je
travaille sur des chantiers à l'étranger - mais je ne pourrais
pas tenir dans un bureau." Morgane, 32 ans, enseignante, a compris
qu'elle était atteinte en regardant à la télé un
sujet consacré aux enfants hyperactifs. "Je ne me considère
pas comme hyperactive, ce mot m'agace: je souffre surtout d'un grave
problème d'attention, je fais dix choses à la fois sans
jamais les terminer, je n'arrive pas à m'organiser, je perds tout.
Chez moi, il y a des Post-it collés dans tous les coins, je ne
conduis plus parce que j'ai des absences en route: je pars pour Roissy
et je me retrouve à Compiègne..."
Vincent, 32 ans, directeur de marketing, se plaint, lui, de troubles
du sommeil: "Je m'endors au milieu de la journée, je perds
la mémoire, je suis irritable et ça se ressent dans mon
boulot. Le niveau d'exigence est de plus en plus élevé dans
les entreprises et j'avais absolument besoin d'un traitement si je voulais
conserver mon poste." Vincent a fini par trouver un psychiatre en
Belgique, qui l'a diagnostiqué TDAH et lui a prescrit de la Ritaline.
" En
France, c'est très difficile à obtenir, mais il suffit
de passer la frontière... Je prends mes trois comprimés
par jour, depuis ça va beaucoup mieux." Marie-Jeanne, 56
ans, souffre depuis dix-huit ans d'un grave problème d'alcoolisme
lié, selon elle, au fameux syndrome. "J'ai fait douze ans
de psychothérapie. J'ai consulté des kyrielles de médecins,
qui m'ont donné des antidépresseurs, mais ça n'a
pas amélioré grand-chose. J'ai fini par consulter un spécialiste à Sainte-Anne,
qui m'a diagnostiquée TDAH et m'a mise sous Ritaline. Et je n'ai
pas touché un verre d'alcool depuis dix mois." Médecin
dans une petite ville de province, Joël, 42 ans, avoue qu'il a,
lui aussi, découvert la maladie à travers son fils de 9
ans, diagnostiqué par un confrère pédopsychiatre. "On
accuse les excès des Américains, mais, en France, on ignore
complètement ce syndrome qui peut avoir des conséquences
dramatiques."
Aux Etats-Unis, le TDAH constitue la pathologie mentale le plus souvent
diagnostiquée chez les mineurs: environ 6 millions d'enfants sont
traités avec du méthylphénidate, nom savant de la
molécule de Ritaline, et 2 millions d'adultes sont soignés
avec des médicaments similaires. En France, on compterait quelque
40 000 personnes, dont une très grande majorité d'enfants,
suivies pour ce trouble qui reste sujet à caution parmi les spécialistes.
Les psychiatres et les neurologues le reconnaissent comme un véritable
handicap, mais les psychologues et psychanalystes ont tendance à le
considérer comme un symptôme ou un simple trait de caractère.
" On constate souvent qu'au moins un des parents souffre du même
trouble que l'enfant pour lequel ils viennent consulter", déclare
la pédopsychiatre Diane Purper à l'hôpital Robert-Debré,
spécialiste de l'hyperactivité infantile. Il s'agit le
plus souvent du père, car le syndrome touche trois fois plus les
garçons que les filles. Les troubles disparaissent après
l'adolescence chez un tiers des enfants atteints, mais 60% d'entre eux
conservent le syndrome à l'âge adulte, surtout sous forme
de déficit d'attention.
" C'est une pathologie complexe et difficile à diagnostiquer, car
elle s'accompagne souvent d'autres problèmes de dépression,
anxiété, alcoolisme ou toxicomanie", explique le Dr
Véronique Gaillac, chargée à l'hôpital Sainte-Anne
d'une des deux consultations françaises spécialisées
dans les TDAH adultes. "Ces patients vivent parfois un enfer: incapables
de se focaliser ou de contrôler leur impulsivité, ils se
disputent avec leurs supérieurs hiérarchiques ou les forces
de l'ordre, oublient leurs rendez-vous, ne paient pas leurs factures
et collectionnent les échecs professionnels et sentimentaux." Comme
ce libraire, envoyé par son patron chercher un livre dans la réserve,
où il tombe sur un autre ouvrage qu'il commence à lire,
oublie totalement la commande et remonte deux heures après, ce
qui lui a valu son licenciement. Les statistiques américaines
montrent que les TDAH sont 22% plus nombreux à être impliqués
dans des accidents de voiture, commencent à fumer plus jeunes
que les autres, divorcent plus souvent et sont particulièrement
vulnérables à la dépression et aux addictions. "C'est
un handicap qui ne se guérit pas, mais que l'on peut corriger,
comme une myopie, poursuit le Dr Gaillac, en combinant la plupart du
temps une psychothérapie et des médicaments, comme le méthylphénidate.
Contrairement à une idée reçue, ce produit, qui
n'est pas agréable à prendre, n'entraîne aucune
accoutumance."
Plusieurs affaires de trafic de Ritaline ont pourtant défrayé la
chronique aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, où le médicament,
réduit en poudre et inhalé, est utilisé par les
toxicomanes comme un substitut de cocaïne. Ce risque de détournement
constitue le principal argument publicitaire d'un nouveau médicament
autorisé depuis un an aux Etats-Unis pour traiter l'hyperactivité.
Mis au point au départ comme antidépresseur, le Strattera,
fabriqué par le laboratoire Eli Lilly, a la particularité de
ne pas être une amphétamine, ce qui élimine en principe
tout risque d'usage "récréatif". 2 millions d'Américains
sont déjà sous traitement. La molécule pourrait
faire prochainement son apparition en Europe, où Eli Lilly a lancé une
procédure d'enregistrement.
Les pressions des industriels
Il n'y a pas que l'hyperactivité: d'autres pathologies classées
dans la catégorie des "troubles du comportement et de la
personnalité" sont apparues récemment dans les nomenclatures
de santé mentale: syndrome posttraumatique, trouble obsessionnel
compulsif, conduite antisociale, syndrome oppositionnel compulsif...
Des "maladies comportementales" qui touchent majoritairement
les adolescents masculins, notamment les jeunes délinquants: 10%
des garçons souffriraient d'un "trouble de comportement" dans
les pays développés, selon un rapport de l'OMS qui y voit "un
problème majeur dans les années à venir".
" Un trouble mental qui affecte 10% de la population, ce n'est plus une
maladie, c'est un trait de personnalité!" peste Bernard Golse,
chef du service de pédopsychiatrie à l'hôpital Necker,
qui considère l'apparition du syndrome TDAH chez les adultes comme
un avatar des dérives de la psychiatrie infantile, de plus en
plus tournée vers la prescription de psychotropes en tout genre. "Nous
travaillons sous la pression de l'industrie pharmaceutique, on n'hésite
plus à prescrire de la Ritaline, mais aussi des antidépresseurs
ou des neuroleptiques à des enfants de plus en plus jeunes: je
vois des enfants de 3 ans sous Prozac pour des problèmes de sommeil,
c'est absurde! Quelles conséquences la prise prolongée
de ces produits a-t-elle sur le cerveau en pleine formation? Il n'y a
là-dessus aucune étude sérieuse, car ces médicaments
ne sont testés que sur des adultes."
Des patients de plus en plus exigeants
Les études réalisées sur les effets à long
terme de la Ritaline ne montrent, vingt ans après, aucune amélioration
des résultats scolaires ni de l'adaptation sociale par rapport
aux autres "malades" non traités. Mais il va être
difficile aux médecins de résister à la demande
des patients consommateurs, de plus en plus exigeants et de mieux en
mieux organisés. Des dizaines d'associations de malades similaires à celle
des "hyper-super" se sont créées ces dernières
années pour fédérer les victimes de toutes sortes
de troubles mentaux: autisme, dyslexie, dépression, toxicomanies,
migraines, attaques de panique... Ces "usagers de la médecine" ont
leurs sites Internet et leurs réseaux de spécialistes.
Ils informent les patients déboussolés et militent pour
faire reconnaître leurs pathologies par les organismes sociaux,
les médecins et la société, au même titre
que les handicapés moteurs réclament des rampes d'accès
pour les fauteuils roulants. Ces malades avides de traitements assurent
accessoirement dans leurs réunions la promotion bénévole
des psychotropes, selon le principe des clubs Tupperware. Ils sont évidemment
courtisés par l'industrie pharmaceutique, qui, aux Etats-Unis
notamment, n'hésite pas à financer largement leurs activités.
En
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